Ce soir, en rentrant du travail justement, après une journée épuisante et pas franchement excitante, je me faisais la réflexion que ce mot, travail, ne pouvait vraisemblablement pas décrire à la fois une partie de l'acte de donner la vie, acte certes douloureux mais rare dans la vie d'une femme et dont l'issue est un moment de bonheur indescriptible, et celui de gagner sa vie quotidiennement.
J'essayais de comprendre comment ce terme avait trouvé le moyen de se faufiler au fil des siècles dans le lexique de l'accouchement. Et pourquoi n'essayerions-nous pas de trouver un terme plus adéquat afin de décrire cette période de l'accouchement, un terme s'attachant à décrire ce qui se passe réellement : une lente et douloureuse dilatation du col de l'utérus. Alors, oui, pourquoi ne pas l'appeler "Dilatation" ?
Flou artistique
"M'embêtes pas là, je suis en dilatation". Clair, précis, direct et donnant à l'interlocuteur des informations précieuses sur ce qu'il se passe. Nul besoin de contexte.
"M'embêtes pas là, je suis en plein travail". Là, le doute subsiste L'interlocuteur pourrait vous répondre. "Toi, c'est le boulot, toujours le boulot !". Imaginez-vous la scène ? Non ? Ah bon!
L'idée véhiculée par l'expression "être en travail" ou plus précisément "être en plein travail" (en plein dedans, pas au début, pas à la fin, en plein au milieu) est floue. J'imagine que de nombreuses femmes qui accouchent n'ont pas la moindre idée de ce qui passe réellement là-dedans. Et je ne vous parle pas des maris. Ils sont complètement largués la plupart du temps ("Elle est en plein travail....elle a mal au ventre quoi...vas-y pousse, comme dans les films!").
Et si justement c'était là le but de cette expression : flouter légèrement la vérité, gommer ici et là les détails moins glam pour finalement rendre cet acte hors du commun plus accessible à la conceptualisation par la future maman. Allez expliquer à quelqu'un que son uterus va se contracter comme jamais pour ouvrir ce col qui bloque le passage à son bébé de 3,5kg. Difficile à appréhender. Par contre, parler de travail, c'est parler du quotidien. Oui, le travail, ce n'est qu'un mauvais moment à passer. "Encore 5h et j'en aurai terminé et ce sera jour de paie!".
Toute création se fait dans la douleur
Il n'est pas de création qui ne s'accouche pas, diront certains pour justifier qu'on utilise un tel terme. C'est de la souffrance, physique et psychologique que jaillit l'oeuvre ultime. Et cette assertion est d'ailleurs confirmée par le corps médicale (article en anglais). Un bon travail pour un bon bébé en somme.
Mais dans ce cas, que penser du sens de cette expression maintenant qu'une majorité des accouchements se fait sous péridurale. L'accouchement sans douleur est-il encore précédé d'un travail dans ce contexte ? Est-ce moins une création ? L'oeuvre en est-elle moins belle ?
On voit bien plus souvent qu'auparavant des accouchements où la maman papote tranquillement pendant que le travail se fait. Le corp médical a ainsi délocaliser le travail de la maman. Il n'y a plus de boulot pour les mamans.
Le travail, une torture avant tout ? Ou juste une peine ?
Et si ce terme, Travail, concerne le fait qu'un accouchement se produit dans la douleur, alors peut-être faut-il remonter plus loin et se pencher sur l'étymologie.
Le mot "travail " vient du bas latin "tripalium", lui même issu du latin "tripaliare" signifiant "contraindre.
Ce "tripalium", qui est un instrument de contrainte, ou de torture, laisse ainsi entendre le "travail" comme étant effectué de force, à l'instar de l'activité, à Rome, de l'esclave.
Donc, l'accouchement serait une sorte de torture, quelque chose que la femme subirait contre son gré ? Et c'est son corps qui l'a torture, elle, impuissante, ne pouvant que subir chacune de ses contractions, toujours un peu plus douloureuses jusqu'au climax final.
Ou pas.
En cherchant encore, on trouve une autre définition de travail :
[...]dans nos anciens livres, comme Perceforeft et Lancelot du Lac, on dit souvent tresveil & tresveiller, en la signification de fatigue & de fatiguer, Dictionnaire Etymologique Gilles Ménage Briasson Paris 1750.
Cette définition n'est pas mal du tout. On appellerait le travail ainsi car il implique que la femme reste éveillée de longues heures, dans la douleur de surcroit. Et cela est encore vrai aujourd'hui, du moins pour le premier accouchement. Cela est de plus recoupé par le terme anglais pour désigner le travail de l'accouchement. En anglais, on parle du "Labor", qui désigne la peine que l'on se donne pour aboutir à quelque chose, ici la naissance de son enfant.
Quand bien même ce dernier sens se rapproche plus de l'idée que nous nous faisons de l'accouchement, à savoir quelque chose de long et douloureux, il reste tout de même assez éloigné de la réalité de ce qu'il cherche à décrire.
Faire perdurer l'espèce: le travail de la femme
C'est là une définition insoutenable plus difficile à accepter aujourd'hui, celle consistant à suggérer qu'il s'agisse là du seul travail de la femme : faire des enfants. Cela est décrit en ces mots par Arthur Schopenhauer, philosophe du 19ième siècle :
Le seul aspect de la femme révèle qu'elle n'est destinée ni aux grands travaux de l'intelligence, ni aux grands travaux corporels. Elle paie sa dette à la vie non par l'action mais par la souffrance, les douleurs de l'enfantement, les soins inquiet de l'enfance [...], Essai sur les femmes, 1851.
Nous sommes en 1851. Une autre époque certes mais également un témoignage d'un courant de pensée et d'une vision de la place de la femme. L'homme travaille et la femme fait des enfants et s'en occupe.
Pourquoi tant de négativité ?
Et quitte à rester flou, pourquoi ne pas avoir un flou positif ? Quite à être abstrait et à ne pas évoquer ce qui se passe réellement, pourquoi ne pas rendre ce "travail" plus attirant. Car, qui est excité à l'idée d'aller travailler ?
Aussi, pourquoi ne pas remplacer le mot "Travail" par "Préparation" ou "Ouverture" ou encore "Accueil", "Délivrance", "Apogée" ou "Culmination". Peut-être que les futures mamans aborderaient ce grand évènement de façon encore plus positive. On accomplit quelques chose. On se dépasse.
Car, quitte à ce que ce soit laborieux et pénible, on préfère que ce soit pour gravir le mont Everest et être sur le toit du monde que pour aller à la mine.