Ce n'est qu'un bout d'étoffe, un peu de rembourrage, un museau de fils de soie, deux yeux boutons, un truc de rien à la trame usée qui sent louche, mais qui en sa fibre retient toute l'essence de l'enfance. Il a épongé les pleurs, accompagné les rires et fait les frais des idées les plus saugrenues. Il a été choisi, ni plus beau, ni plus doux qu'un autre, il a juste été choisi et couronné DOUDOU. Il trône au milieu du royaume des jouets, entre les dauphins, ses vassaux qui sont la voiture rouge à friction, la poupée qui dit "non" ou bien Monsieur Patate à qui il manque un œil mais qui n'en est pas moins aimé.
A regarder nos enfants jouer de toute leur puissance imaginaire, entièrement, passionnément, à s'en oublier, nous nous souvenons alors parfois de nos compagnons d'enfance et de peluches confidents et complices. Plus que des amis, ils étaient les dépositaires de tous nos rêves. Bien sûr, nous connaissions la règle d'or des jouets "En toutes circonstances: inertie et silence," mais dans notre coeur nous entendions leurs rires hauts perchés à califourchon sur nos épaules. Nous devinions leurs pensées en écho aux nôtres et là, dans un battement de cils, n'était ce pas un sourire qui s'était esquissé? Se tissaient alors nombre d'élucubrations quant à ce que pouvaient bien faire nos jouets et peluches rendus à leur silence, bien sûr qu'ils brisaient l'inertie!
C'est ce qu'ont découvert mes enfants lors de leur première année de maternelle. Tous les jours, à l'heure du goûter, encore tout "carapacés" de leur cartable, c'était à qui franchirait le premier notre seuil pour découvrir "C'est quoi ils ont fait les doudous aujourd'hui." Ce fut l'année où j'insufflais la vie à leur imaginaire en mettant secrètement en scène les aventures extraordinaires de leurs jouets et peluches.
Les aventures "Doudous" se conjuguaient souvent aux saisons: Il y eut des pique-niques de rentrée au temps clément où les doudous les attendaient pour le goûter avec des douceurs qui font les jours d'exceptions. Lorsque la neige arriva, ils firent leur premier bonhomme et s'essayèrent aux snow angels. En janvier ils tirèrent les rois. Le printemps les invita de nouveau au jardin où nous les retrouvâmes entre plantoirs et bulbes.
Souvent, ils jouaient aux petites voitures. Parfois, à la marchande. Il ne se passait pas une semaine sans qu'ils ne s'aventurent dans nos livres. Il y eut la fois où ils tentèrent de s'échapper par la fenêtre des enfants en nouant leurs draps en une longue corde. Vite pardonnés, ils se montrèrent soucieux d'offrir un comportement exemplaire en commençant par l'hygiène, et nous les découvrîmes plus d'une fois en plein brossage de dents ou au beau milieu d'un bain.
Nous nous inquiétâmes quand l'ours nous sortit ses gros boutons bleus, mais fûmes vite soulagés lorsque nous découvrîmes que c'était juste une espièglerie de la petite souris qui avait mis la main sur les gommettes.
Nous fûmes surpris par leurs talents de musiciens lorsqu'ils montèrent un groupe. Et jamais nous n'oublierons le jour où ils convièrent tous leurs compatriotes de peluche à jouer au train dans l'escalier où ils s'installèrent par familles d'animaux. Il arriva qu'ils sortirent toutes les chaussures des enfants du placard pour les essayer ou qu'ils se déguisent à l'approche d'Halloween.
L'émerveillement se renouvelait chaque jour d'école, alors que se tissait une nouvelle forme de complicité entre les enfants et leurs farfelues peluches.
Aujourd'hui, la rigidité de mon nouvel emploi du temps me fait parfois perdre cette essentielle futilité. Les enfants l'ont remarqué et réclame à nouveau la petite magie des quatre heures. "Pourquoi ils ont rien fait les doudous aujourd'hui?", "Ils étaient sûrement fatigués."
Alors je bataille mes oublis et l'emploi du temps serré avant que ne disparaisse leur innocente crédulité si merveilleuse et tellement fragile.
Et vous, tentés?