La naissance d'auguste à la maison

Cela fait quelques jours que Auguste est parmi nous et pourtant, j’ai l’impression qu’il a toujours fait partie de notre vie, de notre famille. Il est là, blotti contre moi, les paupières fermées, le souffle paisible. Et en le regardant, je me demande comment j’ai pu vivre sans lui. Pour raconter le début de son aventure sur terre, de notre aventure, il faut revenir un petit peu en arrière…
Lorsque j'ai entendu parler d'accouchement à domicile pour la première fois, j'étais jeune adulte. Une voisine de ma marraine avait accouché chez elle et en l'écoutant parler de cette naissance particulière, je fus troublée et passionnée. Je l'ai vraiment envisagé pour moi, il y a 3 ou 4 ans. Je dirais qu'accoucher à la maison n'est ni un coup de tête de bobo-écolo ni un retour en arrière. C'est avant tout un grand pas en avant dans ma vie de femme, de mère, dans ma confiance en moi et en mon corps. C'est avant tout un choix posé et réfléchi. Car pouvoir choisir, c'est déjà être libre...
Le 1er août 2012, je suis à 40SA+6. Je suis très impatiente mais je suis heureuse, je vis beaucoup plus sereinement depuis quelques jours car j'ai décidé de lâcher prise... Je sais que bébé est bien là, au chaud. Qu’il a juste besoin de ses 9 mois, qu’un bébé est un cadeau qui se mérite et qu’il faut attendre. Seulement, j'ai très peur de ne pas pouvoir l'accueillir à la maison. Je suis terrorisée à l'idée de devoir subir un déclenchement à l'hôpital. Son papa plaisante en disant que ce bébé n’a pas été fait hors frontière, c’est bien un pur bébé suisse : il prend déjà tout son temps !
Le mercredi 1er août, donc, dans le début de l’après-midi, je décide d’aller gratter dans mon potager. C’est au milieu des salades et des outils de jardin que je ressens une première contraction douloureuse. Quoi de plus naturel que le jardinage pour lancer un travail ?
Mais très vite, c’est le déluge. Le ciel gronde et je n’aime pas ça. Je n'hésite pas, je rentre à la maison, bien au chaud. Surtout que je viens de percevoir une deuxième contraction. Je ne m’autorise pas à y croire mais quand même, je doute, j’aimerais tant…
Je m’installe sur le canapé sous une couverture avec une tisane. Moi, qui suis devenue une adepte des téléfilms depuis que je commence à trouver le temps long d’attendre mon bébé, je n’ai même pas envie d’allumer la télévision. Juste envie d’attendre d’autres contractions. Les bonnes, je l’espère ! Mais j’attends, j’attends et rien. Alors je commence à lui parler : « Je suis prête, mon bébé. Je n’ai pas peur. Et toi non plus tu ne dois pas avoir peur car je suis là pour t’aider. On est au top tous les deux, on va faire du bon boulot. Alors si tu as envie de venir maintenant, viens… Je suis prête ». Je lui ai dit des choses comme ça.
Au soir, force est de constater que je n’ai plus eu de contractions depuis mes 2 petites de l’après-midi. Je m’effondre dans les bras de mon homme. Je pleure toutes les larmes de mon corps parce que je suis triste, découragée. Mon homme trouve toujours les bons mots pour me rassurer quand je ne vais pas bien mais là, il est maladroit. Je crois qu’il commence aussi à être un peu épuisé. Si une fin de grossesse fatigue une maman, il en est de même pour le papa... Je monte me coucher avec le cœur lourd mais j’arrive tout de même à m’endormir très vite. A 23 heures, une contraction me réveille mais je n’y crois plus, j'enrage. Je me surprends même à penser « ah non, ça suffit de me faire tourner la tête ! Soit tu te décides soit tu me laisses dormir !!! ». A 23h10, une nouvelle contraction. A 23h20, encore une. Thomas vient se coucher et est étonné de me voir réveillée, il me demande si tout va bien, je décide de l’avertir tout en lui disant qu’on va attendre de voir si il y en a d’autres qui arrivent avant de se réjouir. A 23h30, une nouvelle. On parle un peu et je lui dis que j'aimerais dormir ou du moins, me reposer car je sais au fond de moi que je vais avoir besoin d'énergie durant les prochaines heures. Par la même occasion, il pourra s'assoupir. Je vais aussi avoir besoin de lui. Je me cale dans le lit en mettant plein de coussins dans mon dos et on ferme les lumières. Il fait totalement noir dans la chambre. Cette obscurité complète me relaxe. Bizarrement, je ne suis pas excitée et agitée. Juste très sereine. Evidemment, je n'arrive pas à dormir. Mes contractions, bien que largement supportables, m'empêchent de sombrer dans un sommeil. Je me contente de fermer les yeux et de profiter du calme de la nuit.
Les heures passent et bientôt, l'aube pointe et je sens que les contractions commencent à s'intensifier. Comme c'était bon ce début de travail en douceur. C'est exactement ce qu'il me fallait, à moi, la placide qu'il ne faut pas brusquer (et encore moins la nuit!).
Nous descendons à la cuisine. J'ai une terrible envie de yaourt nature. Thomas prépare le petit-déjeuner pendant que moi, je suis ailleurs. Je m'appuie avec mes coudes sur le plan de travail et je fais aller mon bassin de gauche à droite et de droite à gauche. J'essaye de ne pas me raidir, je relâche un maximum mes bras, ma tête et mon ventre. Entre 2 contractions, j'avale mon petit-déjeuner sur la terrasse, ça me fait du bien de manger et de boire. Les branches des arbres se plient sous le poids du vent léger. Je profite de la fraicheur du matin et du réveil des oiseaux. Quelle liberté, quel plaisir.
Maintenant que 7 heures est passé, j'aimerais prévenir V., notre sage-femme. Avant, j'avais peur de la réveiller... Je lui explique le déroulement de ma nuit et je lui dis que depuis une petite heure, les contractions sont plus douloureuses tout en précisant que dans l'immédiat, je gère bien et que sa présence n'est pas indispensable tout de suite. Elle me répond:"Oui oui, je l'entends bien à ta voix que tu n'as pas besoin de moi!". On décide de se télephoner au milieu de la matinée pour refaire le point... Ou avant si j'ai besoin.
Je continue à faire mes mouvements avec mon bassin et dés que je sens arriver une contraction je prends une longue et grande inspiration et je souffle tout doucement. Seulement, au rez-de-chaussée, il fait trop clair. Nous avons une grande veranda qui nous offre beaucoup de luminosité. Je me sentirai mieux à l'étage où rien ne pourra me distraire. J'aimerais monter l'escalier tant que je peux encore le faire. Mon homme passe devant moi et je me soutiens sur ses épaules pour m'aider. Stop! Une contraction! Aaaaaïe! C'est bon, on repart. J'ai bien fait de ne pas être restée plus longtemps en bas car les contractions se rapprochent et sont plus douloureuses. J'aurais eu du mal à monter l'escalier... Je m'assieds sur la cuvette des toilettes. A présent, la respiration ne suffit plus à calmer la douleur, je crie des "OOOH et des "AAAH" ou je gémis. Je demande à Thomas de me masser le bas du dos d'une main et de me donner l'autre que je sers fort. J'aimerais qu'on appelle V., j'ai besoin d'elle, de sa présence, de ses mains expertes, de sa voix rassurante. Elle attendait notre appel, elle sera là dans 15 minutes. Je l'attends, toujours assise sur les toilettes. La pesanteur exercée parcette position doit aider à la dilatation...
V. sonne à la porte: Thomas doit aller ouvrir. D'accord, mais vite. J'ai besoin d'une main à serrer. Je plaque mes mains sur le mur à côté du wc et j'enfuis ma tête dans mes bras. V. est là, elles est habillée avec de jolies couleurs vives, c'est un véritable soleil qui rentre dans la salle de bain. Elle se met accroupie face à moi et pose ses 2 mains sur mes genoux. Je sais qu'elle sait. Je sais qu'elle sait comme ça fait mal. Elle ne me parle pas et pourtant, je suis rassurée, apaisée. Elle reste avec moi un petit bout de temps où elle écoute le coeur de bébé. Tout va bien. Elle descend chercher tout son matériel dans sa voiture, elle n'en a pas pour longtemps. Thomas prend sa place, face à moi. A chaque contraction, je lui sers très fort les mains, j'enfouis ma tête dans son épaule et je crie très fort. Le pauvre... J'ai faim, j'ai soif, j'ai chaud. J'ai l'impression que je viens de courir un marathon. V. descend me chercher un énorme verre d'eau bien froid et un quartier de melon. Ca me fait du bien.
Dans un moment de répit, je trouve la force de me lever, de traverser le palier et de rentrer dans notre chambre à coucher, aidée par Thomas et V. . Il faut dire que la douleur me met K.O, je me sens très faible et j'ai les jambes en guimauve. Je m'effondre sur le tapis en face de la porte-fenêtre, couchée sur le côté. Qu'on ouvre vite cette fenêtre, il me faut de l'air!!! La douleur monte en flêche. A chaque fois, j'ai l'impression que je ne saurai pas supporter pire et pourtant, les contractions deviennent de plus en plus intenses. Respirer l'air frais de l'extérieur me fait du bien. V. arrive avec une casserole d'eau bouillante dans laquelle elle trempe des morceaux de tissus pour me les mettre sur le bas-ventre et les reins. Je sens vraiment l'effet antalgique de la chaleur. Il faut souvent replonger les tissus dans l'eau chaude, Thomas et V. s'y mettent à deux. J'ai mal, vraiment très mal. Une douleur semblable à aucune autre... Je pense à toutes ces femmes qui doivent surmonter des contractions pareilles couchées sur le dos, attachées. Je les plains.
V. écoute de nouveau le coeur de bébé. Tout est parfait mais moi, je n'arrive pas à me couper de l'extérieur, à rentrer dans ma bulle. Cela me semble impossible tant la douleur m'emprisonne. Je dois vomir. J'ai à peine le temps de le dire, qu'il est trop tard, je vomis sur le tapis. C'est pas grave, me rassure V. Je sens que T. est inquiet et perdu face à cette douleur terrassante. Il tente tant bien que mal de m'apaiser en me caressant les cheveux et en me disant que je suis très courageuse.
J'arrive à me glisser jusqu'au lit. V. met une bâche dessus qu'elle recouvre de vieux draps. J'ose croire que si elle fait cela, c'est qu'elle sait que la fin est proche. Je m'allonge dessus en position foetal. Je me sens engloutie par la douleur. J'ai peur. Je n'arrête plus de gémir. Je cesse juste quelques secondes pour reprendre mon souffle et puis je recommence. La mère que je vais devenir redevient une toute petite fille qui tremble de partout. Je n'y arriverai jamais. Je demande à V. qu'elle m'examine pour savoir où j'en suis, je lui dis que c'est insupportable, que je veux qu'elle m'emmène à l'hôpital. Elle ignore ma demande et me dit que je m'en sors très bien, que je suis très forte. Je suis plaquée sur mon lit par une douleur qui est maintenant constante, je n'ai plus de répit. Thomas continue de me mettre des serviettes chaudes dans le bas du dos mais je lui crie d'arrêter, que je ne veux plus qu'on me touche. Personne. Je veux mourir. J'ordonne à V. de me faire un toucher vaginal. A ce moment, je suis très agressive dans mes paroles. Pourtant, ça ne me ressemble pas... Elle me dit que c'est bientôt la fin mais que mon col se replie un peu. Lors de la prochaine contraction, elle va devoir faire une petite manoeuvre pour que le bébé puisse s'engager. Ca y est! Si Bébé est d'accord, il peut passer. Thomas ferme les rideaux et allume quelques bougies. La cire parfumée arrive jusqu'à moi, je vis cela comme un petit moment de plaisir. Mais très vite, la puissance, la violence du travail reprend. Je suis fatiguée, démunie de forces, je n'en peux plus. Je répète plusieurs fois "Faites quelque chose!". Thomas me dira par la suite que cette phrase l'a tué. Il se sentait intensément impuissant.
Soudain, les contractions sont différentes. Elles s'accompagnent d'une envie irrépressible de pousser. Je le dis à V. qui me répond "si tu le sens, c'est que c'est le moment". Je suis soulagée. Soulagée que cette interminable naissance tourmentée va bientôt prendre fin. Je n'ai pas envie de rester allongée. Je me laisse donc tomber par terre où je me mets à genoux face au lit. Je peux maintenant pousser quand je le veux. Je laisse faire mon corps qui pousse tout seul. On voit maintenant la poche des eaux qui arrive sur mon périnée puis qui remonte. A chaque fois, j'ai l'impression que mon intérieur s'écarte en deux. C'est atroce. Qu'on me coupe le périnée, qu'on aille le chercher mais moi, je n'en peux plus. Ce bébé ne passera jamais. Quand le bébé descend, j'empoigne la couverture et je hurle à la mort. Je dois aider un peu mon corps, je dois pousser avec, à la prochaine contraction. Je pousse de toutes mes forces. Thomas est sur le lit, face à moi et m'encourage: il pousse avec moi. V. est derrière moi et me dit qu'à chaque fois, la poche sort un peu plus. V. met un miroir entre mes jambes. A ce moment, je réalise que la poche des eaux n'a pas encore percée. Elle forme une grosse boule blanche translucide à l'entrée de mon vagin. C'est fabuleux, je tremble de partout et j'ai déjà les larmes aux yeux, je répète "merci merci" mais je dois me concentrer sur la fin. La tête sort, sans sensation de brûlure, toujours dans sa poche mais elle éclate peu de temps après. Je sens mon périnée s'étirer de plus en plus. J'avais peur du passage des épaules mais finalement, son petit corps glisse tout seul, enveloppé dans sa membrane. V. le réceptionne et me le passe entre mes jambes. 16h05. J'attrape ce petit corps tout chaud et tout mouillé. Je me tourne et je m'assieds contre le lit. Je pleure de joie, de soulagement. Thomas pleure aussi. Notre joie est à son comble. Le bébé ne pleure pas, il pousse juste un petit miaulement. Je ne cesse de dire "mon bébé, mon bébé, il est là", la voix toute sanglotante. V. nous félicite, elle me sert dans ses bras et nous enveloppe dans des serviettes de bain. On ne pense même pas à regarder le sexe, tellement abasourdis par ce que nous venons de vivre. V. m'aide à enlever ses membranes qui l'entoure et je pousse délicatement le cordon, il fait noir mais je distingue bien... C'est un garçon, c'est Auguste!!! Nouvelles larmes... Il est tout beau, tout rose... Je ne me lasse pas de le regarder. Bienvenue mon petit bonhomme, mon tout petit. Nous passerons le reste de notre journée dans le lit, à nous découvrir, où Auguste prendra sa première tétée à la lueur des bougies.
Merci Auguste, mon premier enfant. On dit qu'être né coiffé amène la chance. Nous espérons que ton existence sera marquée par celle-ci.
Merci Thomas, mon amoureux, d'avoir été là, tout le temps. D'avoir cru en moi, sans cesse.
Merci V., "passeuse de vie", pour ta joie de vivre et ta passion. Tu fais partie de ces personnes qui marquent la vie de ceux qui ont la chance de croiser ta route.


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