La naissance de félix à la maison

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\ Accouchement du 29 janvier 2014
t Durée : 16 heures

Félix, mon fils,

Je te livre ces quelques lignes. Elles sont écrites avec toute ma sensibilité et tout mon amour. Pour toi.

Ton histoire commence en janvier 2013 quand je décide, avec l’accord de ton papa, d’arrêter ma pilule. Il a fallu attendre quatre mois de plus pour que tu prennes attache dans mon ventre. Le 29 mai 2013, après six jours de retard de règles, je fais un test de grossesse. Sans réelle surprise mais avec beaucoup d’émotion, il se révèle positif. Quelle joie ! Je ne le sais pas encore mais tu naitras exactement huit mois plus tard.

Dans notre famille, nous croyons profondément que la grossesse et l’accouchement physiologiques ne doivent pas être placés au milieu d’une médicalisation outrancière et souvent inutile. Nous pensons que la naissance est un phénomène naturel et que la plupart des femmes possède les ressources nécessaires pour mener à bien cette danse. Les hôpitaux sont là pour les personnes malades, qu’irais-je y faire, moi, qui me sens si vivante depuis que je porte un enfant ?  Pour la deuxième fois, nous nous tournons donc vers Véronique, notre sage-femme, pour un accompagnement global et un projet de naissance à domicile. Chaque mois, j’attends nos rendez-vous avec impatience. A chaque fois, c’est un moment de plaisir, de détente, un temps hors du temps.  

Trois saisons s’écoulent. Mon ventre s’arrondit par ta présence. Grâce aux séances d’haptonomie, nous apprenons à te connaitre, petit être invisible mais déjà tellement présent. Mis à part les nausées et les vomissements qui me suivront jusqu’au dernier jour de ma grossesse, je vis ce qu’on appelle une grossesse idéale, sans encombre. Je travaille même jusqu’à 8 mois et demi de grossesse.

Le 28 janvier 2014, je suis tirée du lit pour la sonnerie du téléphone. C’est le numéro de l’école. J’hésite à décrocher, je n’ai plus envie de penser au boulot. Ma conscience professionnelle me pousse quand même à répondre. Et je fais bien ! Ils m’ont trouvé un remplaçant. Je l’attends depuis si longtemps, je suis soulagée. Je vais enfin pouvoir me reposer, profiter de cette grossesse qui tend à se terminer et surtout, je vais pouvoir accoucher en ayant l’esprit libre.

Toute la matinée, je nettoie la maison. Je récure les placards de la cuisine, j’aspire, je lave les vitres.  Certains diront que je me concentre sur mon nid pour préparer ta venue, ils n’ont peut-être pas tort. Demain, ce week-end, la semaine prochaine ou plus tard ? Quel jour choisiras-tu pour venir au monde ? Quand seras-tu prêt, mon bébé ? Tu habites en moi depuis si longtemps mais finalement, qui es-tu ?

Vers seize heure, je me mets en route. Je vais chercher Auguste chez sa nounou et ton papa à la gare. Ton frère, qui possède une passion pour tout objet ayant des roues, est enjoué dès qu’il voit un train arriver. Ses cris de joie font beaucoup rire quelques voyageurs qui attendent sur le bord du quai. Je le porte, le berce, le fais tourner dans mes bras. Une mère trouve toujours de la force et de la place pour porter tous ses enfants.

Sur le chemin du retour, nous faisons quelques courses pour le repas du soir.

Nous voilà rentrés à la maison et c’est à ce moment que je ressens de très légères contractions. Elles ne sont ni douloureuses ni régulières mais tout de même bien perceptibles. Pendant que ton frère est dans son bain, j’en profite pour faire des exercices sur mon ballon et noter l’intervalle entre chaque contraction. J’espère secrètement que mes mouvements de bassin vont accélérer les contractions et modifier mon col.

Nous mangeons vers 19h. Enfin, manger est un bien grand mot car je n’ai vraiment pas faim et le simple fait de regarder la nourriture me donne la nausée. Ton pauvre papa est bien déçu. Je lui promets que je réchaufferai mon assiette plus tard. Je fais les cent pas dans la salle à manger et dans le salon. Lorsqu’une contraction arrive, je pose mes mains sur mes hanches et je fais des mouvements rotatifs avec mon bassin. Je vois que ton papa me regarde avec insistance. J’imagine qu’il attend que je lui dise «le travail commence» mais je ne dis rien et je me contente de m’asseoir à table pour le rassurer. De toute manière, notre sage-femme nous a prédit que tu arriverais probablement à terme, comme ton frère, alors je ne pense pas que ton arrivée puisse être imminente.

Après avoir couché ton frère, nous lançons un film au salon. Ton papa est dans le canapé et moi je suis toujours perchée sur mon ballon, les avant-bras posés sur l’accoudoir du fauteuil. Tu bouges énormément, beaucoup plus fort que d’habitude. Peu à peu, les contractions s’espacent puis finissent par disparaitre complètement. J’avoue que je suis un peu déçue, je commençais à croire que nous entrions dans une phase de pré-travail.

Vers 23h15, nous allons nous coucher. Je me colle tout contre ton papa. Mère paisible qui devient très vite agitée. En effet, je sens une contraction inhabituelle qui m’enserre tout le bas-ventre et j’entends un bruit de craquement très net. Je ne bouge plus, je suis comme paralysée, j’attends. Je sens une petite fuite entre mes jambes. Mon cœur bondit, mon corps tressaille. Je sors du lit et il n’y a plus de doute, une énorme vague d’eau tiède noie mon pantalon.  J’avertis ton papa, je danse, je ris, je cours, je chante, je ne sais que faire. Je sais juste que je vais te donner la vie, que je vais te rencontrer. Je sais aussi que je vais avoir mal mais cela ne me fait plus peur.  D’une main, je maintiens une serviette de bain entre mes jambes et de l’autre, j’attrape le téléphone pour prévenir Véronique en prenant soin de m’excuser de la déranger à cette heure bien tardive. Elle me pose quelques questions et nous convenons ensemble de son départ. Nous descendons au rez-de-chaussée. Ton papa rassemble le matériel nécessaire pour ta naissance et il éclaire l’extérieur pour accueillir Véronique. Moi, j’allume quelques bougies et je mets de la musique relaxante. J’ai l’impression de préparer une grande fête et d’attendre mes invités avec l’excitation qu’on peut ressentir un soir de Noël. Il règne un mélange de magie et de fébrilité. Et aussi, l’envie de ne pas rater une miette de ce moment, assurément l’un des plus importants de notre vie.

Véronique arrive. On s’embrasse chaleureusement, on se sourit et je lui dis très naturellement : « qu’est-ce que je suis contente de te savoir près de nous ! ». Je crois qu’elle n’imagine pas à quel point c’est vrai et sincère ! Je lui explique que j’ai perdu les eaux mais que depuis 22h, je n’ai pas de contractions.  Elle voudrait savoir si tu es engagé dans mon bassin ou pas. Sans toucher vaginal et grâce à une simple palpation de mon ventre, elle arrive à le voir. Elle m’explique que ton épaule est à quatre ou cinq centimètres de mon pubis, ce qui signifie que tu es bel et bien engagé. Elle vérifie aussi ma hauteur utérine, qui est plus petite qu’à mon rendez-vous du neuvième mois. C’est un autre signe de ton engagement dans mon bassin. Je ne peux m’empêcher de penser qu’à l’hôpital, j’aurais déjà été pénétrée par des doigts inconnus pour vérifier ta position. Nous en profitons pour écouter ton petit cœur qui bat très bien.

Je prépare du thé pour tout le monde. Tous les trois, nous parlons et rigolons beaucoup. Je confie à Véronique ma crainte que le travail ne démarre pas spontanément et qu’il faille le déclencher à l’hôpital. Elle ne cherche pas à occulter la réalité mais elle est très confiante.

Elle nous propose de prendre un peu de repos. Son conseil est sage, je sais que les prochaines heures vont être terribles, merveilleuses mais terribles, alors il me faut des forces et du repos. On convient de faire le point par téléphone en début de matinée si rien ne nous pousse à le faire avant. Dans la nuit noire, Véronique retourne auprès de sa famille et nous, nous allons nous coucher. J’envoie quelques SMS à ma maman et à mes meilleures amies pour les prévenir.

Moment de détente de bien courte durée... Vers six heures du matin, je suis réveillée par une contraction douloureuse. Je reconnais tout de suite cette douleur, elle n’a rien de semblable avec celle des contractions de fin de grossesse qui préparent le corps au travail de l’accouchement. Au fond de moi, je sais que c’est le début.  Je ne réveille pas ton papa qui dort à côté de moi car j’ai besoin de solitude. Sur la pointe des pieds, je me dirige vers la salle de bain et je m’assieds sur les toilettes. J’essaie de compter l’intervalle entre mes contractions, ça varie entre 4 et 7 minutes. Au bout d’un moment, j’enlève ma montre et je la pose loin de moi pour me concentrer sur mon ressenti. En posant mes mains sur mon ventre, je t’appelle, je te murmure « mon tout petit… ». Ces trois mots résonnent dans la pièce, comme pour garder le lien entre toi, moi et mon corps.

Ton papa se lève et me rejoint. Il ne semble pas vraiment surpris de me retrouver là.

Je lui demande de téléphoner à Mamilou qui va garder ton frère. Je n’ai jamais envisagé sa présence lors de ta naissance. Pour lâcher prise complètement, j’ai besoin de le savoir dans d’autres bras bienveillants et sécurisants. Ceux de Mamilou regroupent ces deux qualités. Alors que je suis toujours assise sur les toilettes, ton papa se charge de réveiller et préparer ton frère. Je descends juste au moment où Mamilou arrive. Je ne parle presque pas, je suis dans ma bulle, je me contente juste d’embrasser ton frère. Derniers câlins, dernières mains qui s’agitent derrière la fenêtre en guise d’au revoir. Je suis très émue de le voir partir. La prochaine fois que je le verrai, il sera grand frère et pourtant il me parait si petit.

Ton papa prépare le petit-déjeuner. Moi, je téléphone à Véronique. Le bébé semble prêt, le petit-déjeuner aussi. Voilà deux bonnes raisons pour qu’elle nous rejoigne. Nous rions. L’odeur de chocolat chaud arrive à mes narines, ça sent bon, ça me rappelle des souvenirs d’enfance. La douleur me coupe l’appétit, je n’ai jamais faim quand j’accouche et pourtant, mon dernier repas remonte à la veille à midi alors je m’efforce de grignoter quelques biscuits aux céréales et siroter un thé.

Très vite, je sens que les contractions s’intensifient et se régularisent, elles prennent du temps pour atteindre leur sommet et redescendent très lentement également. Je marche beaucoup, je laisse s’échapper de ma bouche des sons graves prolongés. Entre deux contractions, je regarde par la fenêtre pour me rapprocher de la nature. Le ciel est bleu, sans un nuage. Les arbres sont statiques, il n’y a pas de vent pour les faire trembler. Tout est paisible. Quelle belle journée pour naitre ! J’essaie de t’imaginer à l’intérieur, dans la lumière rougeâtre de ma matrice, secoué, enserré par mon utérus qui se raidit et se relâche au rythme des contractions, appuyé sur mon col. Que ressens-tu là-dedans ? As-tu mal, toi aussi ? Sens-tu ma force t’accompagner ? Entends-tu mon cœur qui bondit à l’idée de te rencontrer ?

J’aimerais bien aller à l’étage et prendre un bain. Ton papa m’accompagne et fait couler de l’eau très chaude. Mais la baignoire est grande et prend du temps à se remplir. Nue, je me penche en avant sur le rebord du lavabo. Je demande à ton papa de me masser en appuyant très fort sur mes reins. Je continue à prononcer des « hummm» bien graves. Je me tortille, je gémis.  La douleur me donne la nausée.

La chaleur de l’eau me porte et me décontracte. Je suis à genoux les jambes légèrement écartées, je pose mes coudes sur le bord et je fais flotter mon bassin à la surface de l’eau en le balançant de gauche à droite. Dans cette position, le robinet se trouve juste au niveau de mon dos. Je l’ouvre pour que mes reins puissent recevoir de l’eau chaude en continu. Dans l’eau, les contractions sont plus fortes mais durent moins longtemps. Nous n’allumons aucune lampe artificielle, les rideaux laissent passer légèrement la lumière de dehors. La salle de bain est donc plongée dans une semi-obscurité. Je me recentre sur mon corps et je me déconnecte de l’extérieur. Je ne prête même pas attention à l’arrivée de Véronique, présence pourtant si précieuse. Je fais des vocalises, j’émets des sons de voyelles très graves qui vibrent de ma gorge jusque dans mon ventre. Peu à peu, ces mélodies lisses et régulières se transforment en hurlements et injures. Pour la bienséance, on repassera !

Une envie pressante me fait sortir de mon bain pour aller aux toilettes et j’ai l’impression de mourir tellement la douleur est intense en dehors de l’eau.  Ces quelques minutes passées assise sur la cuvette me font pleurer et jurer que plus jamais je n’aurai d’enfants.

Je retourne dans la baignoire, je me mets d’abord couchée sur le dos mais la douleur est insoutenable dans cette position. Je me glisse donc sur le côté en position fœtale et je comprends alors que ce n’est pas une question de bonne ou mauvaise position. Contraction après contraction, la douleur monte de plus en plus, immense, intense. Je commence à sangloter, c’est vraiment dur. Je perds pieds. D’une voix très calme, Véronique me parle, m’encourage, m’incite à penser à mon bébé. C’est vrai, il ne faut pas oublier que je ne suis pas seule. Mon bébé, tu es là, toi aussi. Tu es mon guide. Férocement, tu cherches à entrer dans la vie et j’ai aussi mon rôle à jouer dans cette naissance, je dois t’y aider, je dois me ressaisir.

 Ton papa me caresse le dos, le visage et m’enroule une serviette de bain autour de la nuque pour que je sois bien. Moi, je lui broie l’avant-bras à chaque contraction. Il est mon roc, mon pilier. Je l’aime si fort.

La douleur est terrible, atroce, interminable. J’ai mal et je le clame. Je l’impression d’être dans cette baignoire depuis une éternité. Véronique me masse les reins pendant un long moment. Elle me demande si je désire changer de position ou sortir de la baignoire. Je sais que c’est plus facile pour elle d’accompagner les accouchements en dehors de l’eau mais à ce stade, il m’est impossible de bouger. Ce bébé naitra dans cette baignoire.

Soudain, une douleur différente apparait. Je sens mon bassin s’écarter, s’étendre, s’écarteler. Dedans, je sens ton engagement, tes avancées, tes ralentissements. Et puis l’envie de pousser. C’est incontrôlable, instinctif, presque animal. Véronique me chuchote qu’à partir de maintenant, le temps m’appartient. Il n’y a rien pour entraver mon rythme. J’ai juste à écouter mon corps et mes besoins. D’abord, je tente de pousser couchée sur le côté avec ma jambe droite posée sur le rebord de la baignoire mais je sens que mes efforts ne sont pas efficaces. Je décide donc de me mettre en position grenouille : à genoux, les jambes écartées et les mains posées au milieu pour garder l’équilibre. Et ça change tout ! Mon corps pousse tout seul, je ne fais rien, je laisse faire. C’est une sensation très étrange. Pendant plusieurs contractions, je pousse de toutes mes forces. Véronique me guide et m’encourage. Tu arrives, tout le monde retient son souffle. Je glisse une main tremblante vers ma vulve qui s’étire par le passage de ta tête sans aucune douleur ni sensation de brûlure. Je laisse ma main sur ta tête, tu avances sans jamais t’arrêter. C’est fort et pourtant si doux. Ta tête baigne dans l’eau, tu as les yeux fermés et je te trouve déjà infiniment beau. Le reste de corps ne tarde pas à glisser à travers moi. Je t’attrape sous les bras et te remonte contre ma poitrine. De l’ombre à la lumière. 15h14. Je suis bouche bée, tout a été si vite. Je ne pleure même pas, ton papa le fait pour moi. Tu es si tranquille, si chaud, si doux. On nous enveloppe dans des serviettes de bain pour que tu n’aies pas froid. Naturellement, je te susurre quelques mots : bienvenue mon bébé, tu as bien travaillé, je suis ta maman et voici ton papa, bienvenue mon tout petit.

Au bout d’une vingtaine de minutes, je rassemble mon courage pour me lever, traverser le couloir et aller me coucher sur mon lit en te tenant toujours contre ma poitrine. En effet, le cordon nous relie toujours. Nous avons passé un long moment à buller, à se découvrir, sous la couette. C’est là aussi que nous avons découvert ton sexe en écartant les serviettes qui t’entourent : tu es un petit garçon, notre deuxième et pourtant si unique. Véronique nous prodigue tous les premiers soins au lit, c’est un véritable confort qu’elle nous offre. Tu es en parfaite santé, il semblerait que tu n’aies même pas besoin d’un temps d’adaptation à la vie extra-utérine. Quand Véronique annonce ton poids, nous n’en revenons pas. Tu pèses 4kg230, un vrai rugdyman ! S’en vient la question du prénom. Nous en avions retenu deux : Edgar ou Lucien. Nous n’arrivons pas à nous accorder et puis je repense à un prénom que j’aime beaucoup mais que nous n’avons jamais vraiment envisagé. Je le propose à ton papa, il est d’accord. Pour rire, on demande à Véronique et elle approuve aussi. Tu t’appelleras donc Félix qui signifie heureux. Que souhaiter d’autre pour son enfant ?

De cette naissance, je garderai trois petites cicatrices au niveau du périnée mais surtout, je garderai le souvenir d’un calme absolu, d’un respect infini et des mains qui savent faire mais qui savent aussi ne rien faire quand il n’y a rien à faire.

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